Les Iniéris

Les premiers peuplements des Petites Antilles remontent au 2ème millénaire avant J-C. A partir du 1er millénaire après J-C, ces occupants des îles, qui mêlent des origines d’Amérique centrale et du Sud, sont submergés par des groupes de culture arawak originaires du bassin de l’Orénoque : les Iniéris
Contemporains de la culture dite Saladoïde, ils emmènent avec eux un art céramique très élaboré, les villages de carbets, la culture sur brûlis et le manioc. Socialement très organisés, les groupes de culture arawak vont peupler l’ensemble de l’archipel caribéen. Ils établiront dans les Grandes Antilles de puissants royaumes dirigés par des Caciques qui disparaîtront avec la colonisation espagnole.

Le site de Fond Laillet a fait l’objet de fouilles archéologiques préventives lors du projet de construction de la centrale EDF de Bellefontaine. Ces fouilles se sont révélées riches en trouvailles. Outre d’importantes traces liées à la période coloniale, le site a livré des traces de peuplement Iniéris :
“Le site de Fond-Laillet est apparu aux archéologues comme un lieu complexe, témoignant d’une succession d’occupations liées à des activités horticoles et agricoles et proches d’un village littoral qui n’est pas encore identifié.”
La dernière occupation est datée du Saladoïde moyen (7ème-8ème siècle après I-C.)

Les archéologues ont découvert un mobilier céramique bien conservé et peu fragmenté, des haches et des herminettes en roche polie utilisées pour l’abattage ou le jardinage, de nombreux charbons de bois, témoins d’activités horticole ou d’abattis qui permettaient de nourrir les familles implantées dans un village proche.”

Les fragments d’un vase dit “Mario” (d’après l’archéologue Mario Mattioni, 1922-2007), ont été relevés sur le site et ont permis sa reconstitution virtuelle, témoignant d’une exceptionnelle maîtrise des techniques céramiques.

Les Kalinagos

A la fin du 9ème siècle après J-C, les Iniéris des Petites Antilles vont être submergés à leur tour par des migrations successives de groupes très agressifs en provenance de l’Amazonie vénézuélienne : de culture Kali’na (“Hommes forts”), ils se reconnaissent entre eux comme étant les Kalinagos (Kaliponam, dans la langue des femmes).

Au lieu de “Kali’na”, Christophe Colomb et ses interprètes les enregistrent sous le nom de “Kaniba”, à partir duquel sera forgé le terme “cannibale’ en référence à la coutume d’anthropophagie rituelle pratiquée par les Kalinagos. “Kaniba” donnera également par la suite “Caraïbe”.
A l’opposé des sociétés arawaks, sédentaires, complexes et hiérarchisées, les Kalinagos forment des petits groupes présentant une forte structure égalitaire patriarcale, s’organisant autour de fréquentes opérations de razzias, pillant les cités Taïnos (arawaks) de Porto-Rico (Borink’en) et d’Haïti (Ahati), pour se procurer des biens à échanger et des femmes. Leurs arts et techniques expriment une forme d’appauvrissement par rapport à leurs prédécesseurs.

Leur présence est attestée en différents sites de Bellefontaine, puisqu’ils ont systématiquement occupé les sites précédemment de culture Arawak.
L’histoire a retenu le nom de cet ouboutou kalinago très francophile qui prit le nom de son compère Européen, Pilote, et accepta pour prix d’un troc de déplacer son carbet (Case-Pilote) à la rivière jouxtant le carbet de son frère dit Arlet (Rivière-Pilote). Il faut dire que les accords passés par d’Esnambuc stipulaient que les Sauvages devaient résider sur la côte Atlantique de la Cabesterre.

Il y avait jadis un Indien Arawak qui recommanda à sa fille Sésé de ne pas se baigner dans un bassin de la rivière quand elle n’était pas bien portante. Un jour, Sésé, oubliant le conseil, alla s’y baigner alors qu’elle était indisposée. Or, dans ce bassin vivait un serpent ” tête chien ” qui, s’emparant de la fille, la rendit mère.
Cependant, cet animal se transformait en homme chaque nuit, et la fille pris l’habitude d’aller le rejoindre près de la rivière, à l’insu de ses parents, lorsque le jour était tombé. Sésé mit un enfant au monde dans la case de sa mère et bientôt, chaque nuit, ce petit pris ses ébats dans le bassin avec son père. Lorsque le jour paraissait, tous rentraient au carbet, le serpent caché dans le ventre de Sésé.
Le frère de celle-ci se demandait depuis longtemps pourquoi Sésé avait des graines de balata sans hache pour couper. Un soir, il la suivit: elle se dirigea vers un gros pied de balata où elle s’arrêta, alors le serpent sorti de son ventre, monta à l’arbre, puis, soudain transformé en homme, secoua les branches pour en faire tomber des graines.

Tout ceci fâcha le jeune home qui décida de tuer le serpent, ce qu’il fit le lendemain au moment où l’animal montait de nouveau dans l’arbre; Il le coupa en mille pièces. Sésé, toute peinée, ramassa jusqu’aux plus petit morceaux; elle les enterra et les recouvrit de feuilles.
Quelques lunes après, tandis qu’il chassait de ce côté, son frère entendit venir un grand bruit qui s’arrêta où le serpent était enterré; s’étant approché, il trouva là quatre cases pleines d’indiens: c’était les fils du serpent de Sésé qui furent les premiers Caraïbes. Ceux d’une case étaient content de voir leur oncle Arawak, mais ceux des trois autres cases étaient fâchés parce qu’il avait tué le serpent. Toutefois, les chefs conseillèrent de ne pas tuer leur oncle.
Caraïbes et Arawaks échangèrent des cadeaux et vécurent comme des amis jusqu’au jour où Sésé , devenue vieille et toujours inconsolée, dit aux Caraïbes ses fils de tuer un petit Arawak pour venger le serpent. Ainsi fut fait. Mais les Arawaks tuèrent un petit Caraïbe. C’est comme cela que commença la guerre entre les Caraïbes et les Arawaks qui sont ennemis jusqu’à aujourd’hui.

Delawarde J.-B., Les derniers Caraïbes. Leur vie dans une réserve de la Dominique. In Journal de la Société des Américanistes. Tome 30 n°1, 1938. pp. 167-204.

Les Afro-Kwahib

Il existe de nombreux travaux sur la présence négro-africaine dans les Amériques précolombiennes (voire à ce sujet : I. Van Sertima, Ils y étaient avant Christophe Colomb, 1976). Ces thèses s’appuient, notamment, sur l’énigme archéologique des têtes Olmèques monumentales trouvées au Mexique et au Guatemala.

Nonobstant ces éléments, nous nous référons ici à une présence africaine dans les Caraïbes liée aux colonisations espagnoles et portugaises, qui remonte à près d’un siècle et demi avant l’installation des Français dans les Isles.
Très tôt des Africains se mêlent aux Kalinagos des Petites Antilles. Soit qu’ils soient raptés lors des razzias sur les cités espagnoles des Grandes Antilles, soit qu’ils abordent les îles lors d’incidents sur les navires négriers. Voici ce que les archives nous livrent :

En l’an de grâce 1605, Le navire espagnol Nuestra Señora Del Buen Viaje commandé par le capitaine Miguel Ortega fit naufrage à la Capesterre, aujourd’hui quartier de Sainte-Marie. Ce négrier transportait deux cents noirs. Ceux qui réchappèrent au naufrage, plus d’une centaine, furent recueillis par les caraïbes. Parmi eux, il y avait des noirs, mais aussi des Maures engagés comme marins sur la Nuestra Señora Del Buen Viaje.
Quelques semaines après, une expédition fut organisée par un autre vaisseau espagnol pour récupérer les rescapés (…) Dès que la première embarcation atteignit le rivage, les indigènes attaquèrent. Le premier homme à mettre pied à terre, qui portait une grande croix, fut le premier à perdre la vie. Tous les hommes de l’embarcation périrent. Le canot fut récupéré par les Caraïbes, puis des nègres montèrent à bord et le firent échouer délicatement sur la berge avec les avirons.
Peu après avoir laissé ces hommes sur le rivage, le capitaine revint sur la côte, pensant attendrir les sauvages et aussi les nègres. Il trouva les soldats engagés dans de durs combats avec eux. Les soldats n’avaient plus de canot et subissaient à l’évidence de graves dommages. Le capitaine résolut alors de laisser leur sort aux mains de ces “cannibales”.
Les années passant, les anciens captifs s’accommodèrent de la vie des Caraïbes et une nouvelle agglomération s’organisa. Les anciens marins maures de la Nuestra Señora Del Buen Viaje utilisaient leurs connaissances et participaient à la survie de la cité. Certains des rescapés eurent des enfants avec des femmes sauvages avec l’accord du cacique.”

[cité par A. Quion-Quion, Histoires singulières des côtes de la Martinique, 2017]

Cette réalité d’une présence africaine précédant la colonisation française est attestée par le récit de l’Anonyme de Carpentras (Jean-Pierre Moreau, Un flibustier dans la mer des Antilles, 1990) qui mentionne à trois reprises la présence parmi les autochtones de Martinique, en 1619, de “nègres”, d’”Africains” ou de “Maures”. Certains auteurs parlent de “métissage afro-caraïbe”(cf, F. Régent, La France et ses esclaves). J’ai retenu le terme “afro-kwahib”, proposé par le Pr. Raymond Relouzat, qui fut mon érudit éveilleur au GEREC et un des premiers universitaires à insister sur cette filiation culturelle, ô combien essentielle et dont la prégnance génétique fut mise en lumière par une recherche ADN commandée par le musée d’archéologie précolombienne et de préhistoire de Fort-de-France.

Le Père Dutertre note la présence farouche de “Nègres roucouez” au premier rangs des bandes de Sauvages attaquant les plantations de la Basse-Terre. Arborant les signes d’appartenance à l’ethnie Kalinago, peut-être que ces Africains couverts de roucou (“nèg gwo siwo” ?) ne sont pas tous de marronnage récent…

En 1658, chassés de la Cabesterre par les colons français en violation du traité de partage obtenu par d’Esnambuc, les groupes Kalinagos et Afro-kwahib se sont repliés sur les îles de la Dominique (Waitikubuli) et de Saint-Vincent (Yurumein), dédaignées des puissances coloniales à cause de leurs topographies impropres à la grande propriété. Après quelques décades de conflit entre les deux groupes, les Afro-Kwahibs prirent le pouvoir à Saint-Vincent et menèrent la résistance contre les puissances coloniales, connus sous le nom de “Caraïbes noirs” (Black Caribs). En 1796, les Britanniques déportent les résistants Afro-Kwahib sur une île au large du Honduras, Roatan. A partir de ce site de déportation, ils ont créés de nombreuses communautés sur les côtes caraïbe du Bélize, du Honduras, du Nicaragua et du Guatemala. Au nombre de 300 000, principalement répartis entre les États-Unis, le Bélize (7% de la population) et le Guatemala, ils sont aujourd’hui connus comme composant le peuple Garifuna.

Afro-Kwahibs Garifunas du Bélize
(photos Robert Charlotte)