La chronologie coloniale de la présence française à la Martinique s’est concentrée sur la chronique de l’occupation officielle de l’île, au nom du roi de France. Cependant le débarquement de Pierre Belain d’Esnambuc, le 15 septembre 1635 au Carbet, à la tête d’une centaine d’hommes déterminés à s’implanter sur l’île, fut précédé de nombreux séjours de marins français à la Martinique au cours du demi-siècle écoulé. Pirates et corsaires faisant la chasse au commerce espagnol, expéditions commerciales en quête de bois nobles ou d’esclaves vendus par les autochtones (après les avoir ramenés de leurs razzias sur les îles hispaniques). D’Esnambuc lui-même avait dirigé la première implantation des Français à Saint-Christophe (aujourd’hui St Kitts) en 1626, et avait souvent navigué dans les eaux martiniquaises. Sa Compagnie avait obtenu le monopole français pour implanter des colonies dans les Isles d’Amérique. De St-Christophe, il organisa l’installation des pionniers qui l’avaient suivi sur les deux plus grandes îles des Petites Antilles : La Guadeloupe et la Martinique. Son expédition fondatrice aborda la Martinique en septembre 1635
Cependant, les grandes logiques historiques sont toujours tressées d’événements contingents. La chronologie précise des événements liés à la prise de possession officielle de la Martinique au nom du roi de France retiendra que c’est à Fond-Laillet que fut plantée la première croix catholique, marquant symboliquement le début de la période coloniale française à la Martinique.
INAUGURANT SYMBOLIQUEMENT LA PÉRIODE DE LA COLONISATION, C’EST A FOND-LAILLET QUE FUT ÉRIGÉE LA PREMIERE CROIX DES COLONS FRANÇAIS AUX ANTILLES :
“Les premiers ecclésiastiques connus qui mirent le pied sur le sol martiniquais furent des Dominicains, le Père Pélican et ses trois compagnons qui, allant avec L’Olive et Duplessis établir une colonie à la Guadeloupe, mirent pied à terre au Fond Laillet et y plantèrent la première croix le 24 ou le 25 juin 1635.
Quand, deux mois plus tard, D’Esnambuc vint coloniser l’île, il était accompagné d’un Capucin, le Père Hyacinthe. Lui aussi, selon la coutume, planta une croix sur la terre nouvellement occupée…”
[ In J. Rennard, La Martinique, historique des paroisses des origines à la séparation, 1951]Certains auteurs (cf. V. Huygues-Bellerose), cite pour la période “Fond de Laillet” en référence à l’actuel bourg de Schoelcher. Il pourrait s’agir d’une confusion de certains cartographes avec le site de “Fond Lahaye”, proche du bourg de Case Navire (Schoelcher). Pour éviter cette confusion de prononciation, et s’agissant du lieu-dit proprement bellifontain, l’oralité vernaculaire distingue le “t” final, prononçant “Fond Laillette”… En dépit de ce doute, on peut raisonnablement formuler l’hypothèse que c’est autour de cette croix que s’organisa le premier espace de socialisation de la petite communauté des colons des alentours, éparpillés sur leurs habitations : le cimetière de Bellefontaine.
Fondation du hameau de Bellefontaine
La zone du littoral Caraïbe fut le berceau de la colonisation française en Martinique. La façade atlantique, houleuse et peu propice aux accostages, était sous l’autorités des Kalinagos. A partir des sites de Saint-Pierre et du Carbet, les colons se sont répandus le long du littoral en direction du Prêcheur (dont la limite était Grand-Rivière) ou vers la baie du Fort-Royal, havre militaire stratégique.
Cette colonisation précoce et systématique (exploitation intensive du bois) allait définitivement marquer le paysage de cette région littorale : la “côte de fer”.
“Dans cette partie de l’ile, les cultivateurs se trouvaient sous le climat le plus sec et le plus ensoleillé, sur une terre facile a fouiller et féconde, tant sur le massif de la Pelée que dans les “fonds” de la “côte de fer” qui s’étend entre le Carbet et Fort-de-France et dont les mornes, déboisés depuis cette origine, sont a classer aujourd’hui parmi les terres les plus arides.”
[In J-B Delawarde, Les défricheurs et les petits colons de la Martinique au XVIIème siècle, 1935]
Il est possible que cette appellation ait été accentuée par la fréquence du gommier rouge (Bursera simaruba, le “copperwood”, “arbre cuivre”, des anglophones), avec son mystérieux éclat métallique.
Une féodalité coloniale.
L’organisation coloniale initiale subit deux bouleversements majeurs : à l’origine le projet colonial fut conçu sur le principe d’une charte royale concédant à une compagnie d’économie mixte le monopole d’exploitation des îles conquises au nom du roi. Les différentes compagnies qui se succédèrent dans ce cadre contractuel firent toutes faillite, les coûts réels d’une implantation pérenne étant chaque fois sous-estimés. De plus, elles mécontentaient les colons car ces Compagnies, tout en étant incapable de fournir à leurs besoins, s’arc-boutaient à leurs privilèges en interdisant tout commerce avec des fournisseurs étrangers, mieux assortis et moins chers (surtout Hollandais et Américains). Le trafic clandestin devint une activité à temps plein des colons. Au constat de l’échec des Compagnies vint une première transformation de l’organisation coloniale : en 1650, les îles furent vendues à des seigneurs-propriétaires. Enfin, seconde transformation, en 1674 les colonies antillaises furent rattachées au Domaine Royal.
Pierre Belain D’Esnambuc dirigea l’entreprise de colonisation française aux Antilles à partir de 1626, essentiellement depuis sa base de Saint-Christophe. Un an après sa prise de possession de la Martinique, il fit nommer son neveu, Jacques Dyel Du Parquet, gouverneur de la Martinique (1636). En 1650, Du Parquet racheta l’île de la Martinique à la Compagnie des Isles d’Amérique autrefois imaginée et animée par son oncle. Ce quasi-retour à une forme de féodalité permet de comprendre l’importance du lien familial et des fidélités claniques au sein de cette première génération de colons. Parmi le réseau familial des hommes liges de Pierre Belain d’Esnambuc, on note la présence de quatre de ses cousins, les frères Michel (dont la mère est une Belain), venus de Rolleville près du Havre. Il y a Etienne Michel (capitaine de milice à Saint-Christophe puis à la Martinique, propriétaire au Prêcheur), puis Louis Michel, dit Saint-Michel, sieur de la Renardière (lieutenant de milice à la Martinique, habitant), Jacques Michel, dit Bénouville (avocat au Parlement de Normandie, juge à St-Christophe, habitant à la Martinique), enfin, Guillaume Michel dit Bellefontaine (marchand chapelier à St-Christophe, lieutenant de milice en Martinique) [source : Généalogie et Histoire de la Caraïbe, GHC.org]
Guillaume Michel
Si son patronyme reste largement ignoré, la postérité a retenu son surnom, puisque c’est ce Guillaume Michel qui laissa son nom de société au hameau que formèrent les colons du coin, centré sur la chapelle et le cimetière marin construits sur la donation en terres de notre bienfaiteur. A l’inverse de ses frères, on sait peu de choses sur le dernier de la fratrie Michel. Son nom apparaît dans le cadre de diverses affaires commerciales avec la France. Comme ses aînés, auxquels il était associé dans les affaires et l’exploitation d’habitations en Martinique, il bénéficia de l’appui de ses cousins Belain d’Esnambuc et Dyel Du Parquet. Les frères Michel furent dotés en terres au Prêcheur et sur le quartier de Case-Pilote, dont faisait partie le hameau de Bellefontaine. On a retrouvé plusieurs contrats d’engagés de la région havraise pour le compte de Guillaume Michel…
Un des fils d’Etienne Michel, Adrien Michel, habitant à Macouba, sera plusieurs fois cité par le Père Labat, à qui il sert d’hôte et de guide pour ses premiers pas à la Cabesterre.
“La famille de Guillaume Michel fournit un terrain pour la construction d’une première chapelle à Fond Laillet. La chapelle de Fond Bellefontaine apparaît pour la première fois sur le routier en 1785, non loin de l’actuel cimetière communal, ce qui explique sa localisation excentrée.”
[ Parc Naturel Régional de la Martinique, In pnr-martinique.com]
Fond-Laillet : une typologie exemplaire des modes d’exploitation productifs
Depuis les premiers temps de la colonisation, Fond-Laillet respire au rythme de la vie des habitants de ce secteur de la Basse-Terre : ancrage côtier et point d’eau favorables, d’où on se disperse vers l’intérieur des terres, vers où l’on converge pour les fêtes religieuses et les sacrements, ou pour mettre à l’eau les boucauds de sucre à embarquer pour l’Europe.
De l’habitation esclavagiste du XVIIème siècle à la distillerie moderne du XXème siècle, de l’exploitation de la canne à l’élevage d’un cheptel de près de 2 000 têtes de bétail, le site en vallée profonde et son prolongement du morne Covin témoignent de la permanence des activités de production et de la diversité des savoir-faire de la population locale. On a retrouvé, en amont de la centrale EDF, une tombe d’équidé, souvenir de la “Ménagerie” de l’habitation La Faye qui s’était spécialisée dans l’élevage et le soin des chevaux et mulets.
Si la construction de l’usine d’électricité a condamné les restes de l’ancienne distillerie, on peut encore voir les ruines de la maison principale de l’habitation, ainsi que de nombreux vestiges des activités de l’industrie rhumière, qui participa au premier chef à la prospérité de Bellefontaine.
Bien que la construction de la distillerie semble remonter à la fin du 19e siècle, le 1er document mentionnant la distillerie Fond Laillet est l’acte de vente daté de 1915 de l’habitation sucrerie Fond Laillet par M. Guérin à Octave Louis-Michel Cottrell. La distillerie Fond Laillet fut « fumante » jusqu’en 1962. En 1981, suite à une vente forcée, une centaine d’hectares dépendant de la distillerie fut acquise par le groupe Electricité de France pour la construction de la centrale.
[source : Min. de la culture, https://pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/IA97202077]
LA SOCIETE D’HABITATION, DE L’ESCLAVAGE À L’ABOLITION
Zone pionnière de la colonisation de la Martinique, le littoral caraïbe offre une mémoire qui cumule les traces et témoignages des nombreuses strates de développement qui séparent l’habitation moderne du XXème siècle des premiers défricheurs de la première moitié du XVIIème. La première véritable coupure, en termes d’organisation sociale et de “modèle économique”, qui affecte profondément la société coloniale concerne le passage d’une “société d’habitation” à une “société de plantation” vers 1685, d’après la thèse soutenue par J. Petitjean Roget. La première, qui se développe à partir du littoral caraïbe, se caractérise majoritairement par la petite et moyenne propriété. Les colons cultivent le pétun (tabac), l’indigo, le coton, les canéficiers, les plantes vivrières; quelques uns se lancent dans le cacao, les fruits confits. Pour aider les colons, la main d’œuvre, qui comprend une forte minorité d’esclaves africains, est composée d’engagés qui offrent trois ans de leur vie au colon en échange du passage, d’une quantité de tabac à la fin du contrat, et du droit de tenter légalement sa chance aux îles. A mesure que l’échéance du contrat approche, les colons exigent de leurs engagés un labeur accru, qui pousse certains à marronner auprès des Sauvages…
C’est une société populaire, ouverte et solidaire, très souvent rétive aux restrictions ou taxations abusives de l’appareil colonial, apanage de la noblesse. Les archives ont gardé trace de ces nombreuses “insurgences”, “jacqueries” ou “révoltes” dont, bien plus tard, le Gaoulé (1717) marquera l’apothéose. Si elle constitue un fond de population stable, nécessaire à la pérennité d’une présence française sur l’île, si elle a surtout assuré les premier défrichements indispensables à toute exploitation ultérieure, cette domination de la petite et moyenne propriété n’enrichit guère le commerce de France. A cette société pionnière et multiraciale, on substituera une organisation fondée sur la grande propriété sucrière et l’apport massif de déportés africains esclavagisés, en lieu et place de l’initiale politique volontariste de transferts de populations européennes (considérés comme un appauvrissement du royaume).
Jacques Petit-Roget fait de cette première strate coloniale “un demi-siècle de formation” (1635-1685). En 1685, l’Édit du roi dit Le Code Noir, vient donner force de loi au nouvel ordre esclavagiste et sucrier, systématisé dans le cadre tri-atlantique du commerce triangulaire.
Peuplement du Quartier
Dans les premiers temps de l’organisation administrative quatre Quartiers sont créés sur la Basse-Terre : Fort-Royal, Case-Pilote, Saint-Pierre et Le Prêcheur (dont les limites comprenaient Grand-Rivière). Puis, la colonie s’accroissant et après la conquête de la Cabesterre (1658), il fut créé un Quartier de la Basse-Terre qui allait du Prêcheur à la Pointe des Nègres. Les paroisses constituaient l’échelon d’organisation le plus proche de la vie quotidienne des gens. En 1684, Blénac fixe les limites des paroisses : “La paroisse de Case-Pilote englobait les bourgs de Case-Navire (2 003 ha), de Case-Pilote (3 128 ha), de Bellefontaine (1 379 ha)” [In Liliane Chauleau, Case-Pilote, Le Prêcheur, Basse-Pointe, Étude démographique sur le Nord de la Martinique, 1990]
Comme on le voit, l’identité propre des deux “bourgs” de Case-Pilote et de Bellefontaine est très tôt attestée.
- Vers 1660, on compte 777 habitants Case-Pilote
- En 1671, on compte 46 “cases à demeurer” et 18 sucreries sur le même territoire.
- En 1680, sur le quartier de Case-Pilote on recense : 60 habitations pour 743 individus, dont : 274 Blancs, 14 mulâtres, 2 Libres (possiblement des Kalinagos), 444 Nègres.
Les esclaves sont essentiellement répartis au sein de petits ateliers : sur un total de 39 ateliers, 17 comprennent moins de 5 esclaves, 8 moins de 10, et 9 moins de 20 (1 moins de 50, 1 moins de 60, et 1 moins de 70). 21 habitations sur 60 n’ont aucuns esclaves. De nombreux esclaves sont des esclaves domestiques appartenant à des familles peu nombreuses. Les 2/3 des habitations comptent moins de 10 personnes.